Pendant la féodalité, le temps des seigneurs et des châteaux forts, Grâne se trouve incluse dans le comté de Valentinois qui, pendant 3 ou 4 siècles, sera l'apanage de la famille des Poitiers. En 1217 dans les luttes contre les Cathares, les bandes guerrières de Simon de Montfort, principal chef guerrier du Pape, parcourent les campagnes et portent la désolation et la mort, dans les villages, dont Grâne. Plus tard, Grâne est à nouveau pillée et incendiée Comme si ces massacres guerriers ne suffisaient pas à leur malheur, les gens du peuple sont frappés périodiquement par la lèpre et la peste.

Les comtes successifs, à partir d'Aymar III de Poitiers, vont batailler pendant plus de deux siècles presque sans interruption, contre les évêques de Die, chacun voulant conserver son territoire et gagner celui de l'adversaire. Aymar VI, en 1347, écrit au pape, le suppliant de s'interposer pour mettre fin à la guerre « qui cause des homicides, incendies, vols, sacrifices, destructions de château, deuils de veuves et autres maux qu'on ne saurait décrire ». La paix de Lyon en 1356 mettait enfin un terme à ce conflit.
Malgré ces luttes, les comtes, en particulier Aymar IV, avaient conduit une habile politique d'achats de seigneuries : en 1374, le dernier des comtes, Louis II de Poitiers, possédait 27 villes ou châteaux, 11 forteresses, 200 fiefs tenus en propre ou par des vassaux, et percevait 14 à 15 000 livres de revenus annuels. Seulement, ce Louis II avait un problème : il n'avait pas de garçon légitime, seul héritier possible. Le 11 août 1404, il lègue donc son apanage au roi dauphin. Le contrat règle tous les problèmes de succession. Mais, certains membres de la famille s'estiment lésés. C'est ce qui amène le guet-apens de Grâne. Le dimanche 2 août 1416, vers deux heures de l'après-midi, le vieux comte Louis II (il a 62 ans) se repose dans son château de Grâne, sa résidence favorite. Louis de Saint-Vallier, son cousin, arrive au château de Grâne et se présente, accompagné de trois hommes, à la porte donnant sur le village. Le comte, qui ne voit dans cette visite qu'un témoignage d'affection parentale, le reçoit avec beaucoup d'empressement. Le lendemain, Louis de Saint-Vallier, sous prétexte de diverses commissions, envoie hors du château plusieurs serviteurs du comte, en particulier le garde qui fait le guet au sommet de la tour, qu'il charge d'aller demander au chapelain de lui permettre d'entendre la messe. Jean son frère évêque de Valence attendait à la porte avec une escorte de 26 ou 27 cavaliers armés. Louis s'étant emparé des clefs du portier ouvre la porte. Les deux frères et leurs hommes sont les maîtres du château ; ils font lever tous les occupants, dont un fils et trois filles, bâtards du comte, et les jettent hors de la forteresse. Puis, avec sept ou huit gens armés, l'évêque et le seigneur de Saint-Vallier pénètrent, l'épée à la main, dans la chambre du vieux comte qui, épouvanté, se jette à genoux. Les deux complices, qui veulent obtenir du comte un testament en leur faveur, le séquestrent donc jusqu'à ce qu'il signe l'acte. Finalement, après deux semaines de souffrance, le comte cède et, le 17 août, signe tout ce que veulent ses deux cousins. Il déclare qu'il leur lègue les comtés de Diois et Valentinois après sa mort et jure même sur le corps du Christ de respecter cet engagement.
Dans les jours qui suivent, le comte est dans une folle colère, mais il se sent lié par ses engagements solennels et cherche donc une échappatoire. La plus simple était évidemment qu'il eût un héritier mâle. Cécile de Beaufort son épouse étant morte en 1410, il prend une seconde femme, une cousine du duc de Savoie, Guillemette de Gruyères. Hélas ! le couple du comte sexagénaire et de la jeune Guillemette n'aura pas d'enfant. Il s'adresse donc au pape Martin V qu'il supplie de le dégager de sa promesse. Les choses traînent pendant deux ans car Sa Sainteté répugne à mettre en cause un évêque. Finalement, le 26 septembre 1418, le pape libérera le comte de ses scrupules.
Maintenant dégagé de son serment, le comte rédige le 22 juin 1419 un long testament : il institue comme héritier le dauphin Charles, futur roi Charles VII, sous condition que celui-ci délivre 50 000 écus pour rembourser ses dettes. Si le dauphin ne remplit pas cette condition, les comtés iront au duc Amédée de Savoie. Deux semaines après, le 4 juillet 1419, Louis II s'éteignait.
Quelques années passent, le dauphin Charles, qui avait des caisses vides et bien d'autres soucis, n'avait toujours pas déboursé le premier des 50 000 écus qui conditionnaient l'exécution du testament. Aussi le duc de Savoie, Amédée VIII ne tarde-t-il pas à faire jouer la clause prévue en sa faveur. Le 24 août 1422, ses troupes s'emparent des châteaux dans le territoire, dont celui de Grâne ; il saisit les deux comtés et en prend le titre. Il fait transporter les archives, titres et documents des Poitiers de Grâne, conservées dans sept grandes caisses en bois, jusqu'en Savoie. La France les récupèrera en 1713 (traité d'Utrecht, sous Louis XIV) date à laquelle elles seront transférées à la Chambre des Comptes de Grenoble. Ce sont ces précieux documents qui nous ont permis de reconstituer ce chapitre.
Au travers de ces documents, nous apprenons que le château construit au sommet de la roche est solidement fortifié, avec des murailles crénelées, deux portes fermant à clef. Il renferme une chapelle, un puits et une citerne, il se compose d'un beau et grand bâtiment contenant plusieurs appartements permettant de loger toute la famille du comte, y compris les enfants bâtards, et sa suite d'ecclésiastiques et de serviteurs, ainsi que les visiteurs. La tour du château abritait le trésor du comte. Les murailles du château dominent un pré.
Un quart de siècle plus tard, l'habile Louis, nouveau dauphin, réussira enfin à récupérer les comtés. Devenu roi sous le nom de Louis XI, il fera encore inspecter Grâne en 1477, on y constate l'état de ruine du château des Poitiers, qui avait tant souffert des guerres, des sièges et du manque d'entretien. Le roi ordonne donc des réparations. Le temps des canons et des armes à feu avait rendu dérisoires les épaisses murailles et les étroites meurtrières, autant valait ouvrir largement au soleil les salles du château. Les travaux ont duré de 1477 à 1516. On peut penser que c'est dans cette période qu'a été percée la belle fenêtre à meneaux de style Renaissance. Hélas, le 11 octobre 1988, une violente chute de pluie a emporté cette fenêtre.
Que subsiste-t-il du château ?
La grande tour double de l'angle, en bel appareil, dont les deux parties (l'une a trois faces, l'autre quatre) sont reliées par un mur où se trouvait la fenêtre à meneaux. Pierres en bossage (partie saillante à l'état brut au centre, seules les arêtes sont taillées pour ajustement). Sur les faces extérieures, on lit des chiffres romains de II à VII (repérages ?).  Au centre de la face ouest, un motif sculpté de cinq bandes horizontales. De l'intérieur, on devine plusieurs étapes de construction et de rajouts. Siège en pierres autour de la fenêtre. Escalier à vis. Fenêtres murées.
La petite tour, partiellement ruinée, défendait la porte du village (traces d'incendie ?). L'autre porte mentionnée par nos textes était en haut, près d'un pont (levis ?) débouchant sur le pré clôturé. Ce pré se trouvait-il au nord (emplacement du château d'eau) ou à l'est (emplacement de la carrière qui, probablement, constituait une partie du château, sa basse-cour) ?
Une autre tour circulaire apparaît sous le calvaire, dans la partie la plus élevée.
Restes de la muraille d'enceinte du château : 1) angle arrondi près du château d'eau, au-dessus de la carrière, 2) derrière le château d'eau, près de l'escalier en bois, 3) surplombant la carrière.
Cave voûtée du 13e siècle taillée dans le rocher et formant plusieurs alvéoles. Deux issues au sud et à l'ouest.
Dans l'angle surplombant la carrière (maintenant théâtre de verdure), côté château d'eau : traces d'une citerne.

Robert SERRE